Une brève d'Adèle Jacquet-Lagrèze, à propos de Deuil à rebours d'Yvette Goldberger

 

À propos de Deuil à rebours d’Yvette Goldberger *

 

J'étais fleur, racine suis

dans la terre, dans la nuit.

Ici s’achève ma vie…[1]

 

À rebours de ma lecture, je partagerai ce point de suture opéré par Guillaume Métayer dans sa postface, observant « ce mouvement de conversion vers la littérature hongroise, comme la survenue d’un amour salvateur » [220] à l’œuvre dans ce livre hors norme, témoignage d’une analysante, d'une lectrice et d’une fille de l'Histoire. Un livre qui m'a émue et dont je voulais partager trois fils qui touchent à l’universel de notre expérience.

 

Tout d’abord, celui de la fin d’une analyse, qui au contraire de la structure idéale révèle ici cette contingence dont on parle trop peu, celle où l’analysant y met un terme avec les apories de ses affects encore vifs [13, 16, 215]. Son analyse « ne [l]’avait pas libérée de ces pelures faussement protectrices » [215] et la relâche fut le fruit d’une décision. Pour autant, au travers de cette écriture qui noue les traces de son analyse en extension, jalonnant plus de quarante ans d'expérience, quelque chose passe d’un travail qui n’a pas cédé sur son désir.

Lectrice, Yvette Goldberger le fut de ses patients, mais aussi de ces écrivains hongrois, partageant cette langue maternelle où l'on se sent chez soi [132-133] et qui sans conteste embrassent dans un paradoxal « bonheur [...] pire que tous les malheurs [2] », à « pleurir » [77], la question de la mort et de la beauté avec une ironique drôlerie [3].

Son histoire a ses racines dans la trop actuelle noire Histoire du XXème siècle qui place les sujets face à des deuils impossibles [71] et qui convoquent le non-rapport du savoir et de la vérité. Du « sait-il ? » en écho à un savoir signifié quant au corps organique, au « que sait-il ? », savoir signifiant d'un sujet désirant qui l'habite, Yvette Goldberger nous raconte comment l’analyse peut ainsi creuser une brèche au-delà du réel, là où s’ouvre l’inconscient [4].

 

Traversant les champs de sa pratique, de la littérature hongroise et de son hystoire, la question de ce que l’on sait mais ne veut pas croire [20-26], y insiste et s’installe dans cet « entre-deux-morts », dont il faut bien sortir pour tenter de vivre. C’est ce qui passe avec ce deuil du deuil [213-215], cet arrachement à l’au-delà du principe de plaisir qui demande du temps, passant ici par la lecture et l’écriture [18] …

« […] Après avoir été roulé tant de fois sur son chemin accidenté, il [le rocher] finira par s'user et un jour Sisyphe se rendra compte que, depuis longtemps, il pousse du pied un caillou gris dans la poussière, en sifflotant[5].  »

 

 

* Y. Goldberger, Deuil à rebours. Du deuil à la littérature hongroise en passant par la psychanalyse, Paris, Éditions Nouvelles du Champ Lacanien, Hors collection, 2023. Les numéros de page entre crochets renvoient à cette édition.

[1] M. Radnóti, « Marche forcée », dans Œuvres, 1939-1944, traduit par Jean-Luc Moreau, Paris, Phébus, 2000, p. 181. Cité p. 131.

[2] I. Kertész, dans une interview de F. Busnel, L'Express, 1 avril 2005. Cité p. 110.

[3] « Les choses sont faites de drôlerie », p. 191-212.

[4] « Du réel à l'écrit, vacillations du savoir », p. 15-62.

[5] I. Kertész, Le refus, Arles, Acte Sud, 2001, p. 349 [Budapest, 1988]. Cité p. 116.

 

Adèle Jacquet-Lagrèze

 

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