Stéphanie Gilet-Le Bon, à propos de "Tu es cela", Sinthome poème et identité de Michel Bousseyroux

« Tu es cela » Sinthome, poème et identité.


Michel Bousseyroux nous éclaire de son précieux travail sur les nœuds, à suivre de très près Lacan, qui a proposé à partir du séminaire Le sinthome où il interroge « l’esprit des nœuds », une conception nodale de la psychose tout à fait nouvelle. Les psychoses sont désormais pensées, avec le nœud borroméen, comme une faillite, lapsus, du nouage à trois, qui libère un des trois.
Dali refera un nœud régressif qui met en continuité les trois consistances RSI, fusionnées en un : le nœud de trèfle de la paranoïa ou de la personnalité. Quant à Joyce – qui a eu des effets notoires sur le travail de Lacan -, par forclusion de fait due au père qui s’est démis de sa fonction, c’est l’imaginaire du corps -I- qui n’est plus solidaire de R et de S. Il restaurera un nouage à quatre grâce à son Négo d’écrivain, à son art-dire, art du borroméen. Il était un sinthome en éveil, en éveil au réel de lalangue. Ainsi le sinthome qui noue et nomme entre-t-il en résonnance avec l’inconscient-lalangue, lequel ne rejette pas la jouissance du vivant, créant notre capacité à jouir, tissant, filant la jouissance. Savoir et jouissance se confondent dans lalangue.
Le sinthome constitue pour Lacan une solution subjective pour la psychose tout autant que pour la névrose.


M. Bousseyroux, dans cet ouvrage publié par les Éditions Nouvelles du Champ lacanien, propose trois parties, mais il y a, me semble-t-il, une corde, une ficelle qui les lie et qu’il tient fermement, accompagnant l’entrée dans la pensée borroméenne qui persiste, autant que celle de la fonction du sinthome dans son rapport privilégié de couple, avec l’inconscient, l’une-bévue, ce quelque chose de lalangue. C’est en tout cas ce que j’ai dégagé de ma lecture, ce qui m’a touchée : ce qui fait que la psychanalyse n’est plus comme avant, que l’on a une autre conception de l’inconscient jusqu’alors pensé comme insu.
Ainsi le symptôme qui se nourrit de sens pourra être traité par le glissement depuis le langage dans l’une-bévue de lalangue.
M. Bousseyroux nous rappelle comment Lacan a donné l’exemple de Marcel Duchamp et de ses jeux de lettres à lire phonétiquement : Rrose Sélavy ou, sous sa Joconde moustachue : LHOOQ. Ce n’est pas la Joconde qui a chaud au cul, mais la lettre, car c’est elle qui se jouit dans lalangue. La lettre épelée qui n’est pas la lettre écrite, qui devient son qui s’y jouit, sans le sens. L’un (les uns) incarné, joui dans l’inconscient-lalangue n’a pas de meilleur support que la lettre, précipité, dépôt, du savoir joui. La lettre de l’inconscient-jouissance, c’est ce qu’écrit le nœud borroméen, le sujet réel, LOM. C’est l’écriture borroméenne qui autonomise la lettre et sa permutabilité anagrammatique. L’orthographe du borroméen prend la lettre dans le phonétique et l’homophonique. Ce réel de la lettre s’écrit dans et par le sinthome qui recèle la jouissance opaque propre à chacun. Mais la lettre ne suffit pas. Il y faut le dire de l’analyse, son noyau poétique. L’efficace vient du dire, de sa fonction nouante, pas sans le sinthome couplé à l’inconscient.
Alors, l’interprétation doit obéir à la logique de la réson (de F. Ponge) la réson de lalangue. Elle doit faire rendre réson au symptôme qui est ce qui vibre dans le trou du réel borroméen. Lever le lièvre, repérer son gite.
Changement capital dans l’interprétation doctrinale de la situation du symptôme.
Ainsi, avec la praxis du nœud de l’interprétation, selon ce qu’en dégage M. Bousseyroux, Lacan en viendra à accorder de plus en plus sa préférence au poématique. Comment sortir de la bêtise du signifiant en exercice ? Par le poème qui rend le dire moins bête, par l’à demi-bête, Le faune de la phonématique.


Où va la psychanalyse maintenant ? Question que pose M. Bousseyroux. D’après Lacan et sa passe, elle va là où la psychanalyse en vient enfin à elle-même, comme l’analysant en vient à lui-même, à sa vraie identité de fin, au « tu es cela » : une résonnance du corps qui le fait être poème, s’il a le courage de pousser son analyse à son point de finitude : jusqu’au poème qui s’écrit en dépit de lui.
Selon M. Bousseyroux, la psychanalyse aujourd’hui va vers le poème celanien. C’est en effet avec Celan et Mallarmé qu’il pose que l’enjeu du poème est éthique et non esthétique. Il s’agit de le libérer de l’art et de sa tête de Méduse inhumaine. Le poème est un dire qui ne peut oublier son noyau de réel, oublier qu’il est enraciné dans le réel – de la mort pour Celan.
Oui, il faut que le poème fourche, fasse bégayer lalangue pour la choper et que s’y entende l’une-bévue qui achoppe sur du réel.


« pas pas paspaspas pas
pasppas ppas pas paspas
Le pas pas le faux pas le pas
Paspaspas le pas le mau
Le mauve le mauvais pas » : Ghérasim Luca.



Stéphanie Gilet-Le Bon, d’après Michel Bousseyroux

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