Brève sur "Tu es cela" par Bruno Geneste

"Lire les nœuds", une brève à propos de "Tu es cela" de Michel Bousseyroux, par Bruno Geneste


Michel Bousseyroux signe ici son cinquième livre sur ce qui fait le cœur des derniers séminaires de Lacan : la question borroméenne. Pour qui s'y aventure, passées les réticences de principe à aborder cette option de la pensée lacanienne (et qui sont toutes à reverser à la résistance qu'y oppose l'imaginaire de chacun), le lecteur y trouve du neuf, et plus encore : le gay-sçavoir ici en fonction produit une trajectoire comparable à celle du poème célanien.
Le nœud alors creusé (comme le titrait le second livre de l'auteur), et après avoir marché droit sur un cheveu (titre du troisième) pour, de ce pas, faire vibrer la réson lacanienne (et c'est le quatrième), vient, comme une scansion ce « Tu es cela » du dire de l'analyse qui noue sinthome, poème et identité. C'est un nœud inédit que propose Michel Bousseyroux, qui conjoint dans la même botte les trois termes majeurs du dernier enseignement de Lacan. De ces termes, ce livre invite l'analyste à faire boussole pour repenser les psychoses, l'acte analytique et l'identité de fin d'analyse.
Douze chapitres, distribués en trois parties, organisent l'ouvrage, où l'on apprend d'abord à repenser les psychoses à partir du cas de Joyce et avec une remarquable démonstration de la solution sinthomatique de Salvador Dali, lequel s'est servi des insignes forclos du Nom-du-père comme d'un sinthome pour renouer R, S et I. De Dali, jusqu'alors, il n'avait jamais été question de la sorte. Mais de l'Aimée de Lacan pas plus, ni de cette singularité diagnostique que constitue, à côté de la personnalité paranoïaque et de « l'ego calmar » de Joyce, la maladie de la mentalité. L'ouvrage reprend donc dans sa première partie à nouveaux frais la clinique des psychoses et en élargit, comme le titrait le premier ouvrage de Michel Bousseyroux, le champ de la manœuvre opératoire de l'analyste.
Viennent logiquement ensuite des considérations sur la chirurgie analytique, sur ce que l'interprétation défait pour que se refasse le nœud et que commence le « véritable voyage », sans le père mais avec la nomination.


La page 125 est le point d'Archimède de la troisième partie. Citons-la pour que s'en témoigne la limpidité d'une thèse qui ruisselle tout au long du douzain que nous livre Michel Bousseyroux : « Le « véritable voyage » (qui, écrit Proust, consiste à avoir de nouveaux yeux, un nouveau regard) commence par « cela » qui fait la marque de la lettre aphone, parce que coupée du signifiant et du symbolique, propre au sinthome. De sorte que l'issue de l'analyse pour Lacan est une issue par l'identité conçue comme ce qui désigne le plus propre à quelqu'un, sa singularité, sa signature analytique, une identité qui le distingue de l'Autre et qui prend en charge la lettre du symptôme au point d'en rendre pour lui le réel efficace. La visée d'une analyse n'est pas d'effacer cette marque, elle est de rendre lisible l'efficacité de sa coupure au niveau du désir de l'analyste à venir ‒ ce dont permet de rendre compte l'écriture du borroméen généralisé. »
Passé ce point, c'est de Celan et de Mandelstam, de Beckett et de Ghérasim Luca, des poètes du bégaiement et de l'effet de trou, que l'analyste apprend pour faire tanguer la langue et faire jouer, contre le signifiant, ce que Michel Bousseyroux nomme joliment « une faunétique du son qui dissone ».
À lire donc, pour ce qui, de lalangue dans la clinique analytique, y résonne spécialement.


Bruno Geneste

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