Brève sur Deuil à rebours d'Yvette Goldberger, par Marie-José Latour

Brève sur Deuil à rebours. Du deuil à la littérature hongroise en passant par la psychanalyse, d’Yvette Goldberger [1]

 

 

Après la lecture de ce très beau livre il m’est venu l’image d’un de ces pains tressés hongrois, que l’on appelle, me semble-t-il, kalács. C’est dire à quel point Yvette Goldberger sait faire passer le goût de cette langue, parlée au cœur-même de l’Europe mais qui ne doit rien aux langues indo-européennes, via les formidables auteurs dont elle est le généreux passeur.

La tresse sied à cet ouvrage nouant délicatement, au « point de vie » [11], plusieurs brins : le deuil et l’inconsolable, l’histoire d’une et l’Histoire de tous, la « joie éthique » et « le miel mortel » de la tristesse [159], la littérature et la psychanalyse, le hasard et le destin, la dimension tragique de l’existence et sa drôlerie, etc.

 

Il y a d’abord « l’enfer hospitalier » [135] dans lequel s’engage la jeune psychologue clinicienne au début des années soixante-dix, pionnière d’un apport psychanalytique dans un Centre Hospitalier Universitaire, et donc « résistante » au tout-médical [15-25].

Puis il y a la « résidence littéraire » où celle qui est née dans une famille immigrée de Hongrie ayant payé un lourd tribut aux crimes nazis, va trouver l’abri nécessaire pour donner forme à ce qui n’avait pas réussi à trouver place dans ses associations et qu’elle a traqué dans sa cure analytique.

Yvette Goldberger nous donne ce précieux témoignage de ce qui peut être soutenu d’un enjeu psychanalytique bien après la fin des rencontres avec un analyste. Notons qu’aucun des analystes à qui elle s’est adressée n’a fait obstacle à ce qu’elle puisse continuer de choisir la psychanalyse pour tenter de s’orienter tant dans le « réel sans pourquoi et sans merci » [86], que dans la « mélancolie de la résistance » [160], ou « la tension entre hasard et destin » [173], et encore dans « les livres-cimetière » [122].

 

Dégagée des liens autres que ceux de la langue [132], elle se prend à répondre remarquablement de ce qu’elle lit, en soit-elle bouleversée [122]. Répondant encore du trouble que l’on peut ressentir à être charmé [211], Yvette Goldberger nous montre, entre forme et creusement, à l’instar de Péter Esterházy « comment la phrase nous transforme » [98].

Du formidable Voyage autour de mon crâne de Frigyes Karinthy à l’humour baroque de Miklós Szentkuthy, en passant par les témoignages inoubliables d’Eva Heyman et d’Imre Kertész et la magnifique langue d’un des plus grands auteurs hongrois contemporains, László Krasznahorkai, Yvette Goldberger fait, de la plus belle des manières, prendre de la hauteur à notre pile à lire.

C’est en écrivant à propos de ceux qu’elle a lu, dans la proximité de sa pratique dont elle a toujours tenté de rendre raison, qu’Yvette Goldberger donne une formidable prolongation à la remarque de Lacan qui n’espérait d’avenir à la psychanalyse qu’à la condition qu’elle se voue suffisamment à la drôlerie [2].

 

Marie-José Latour

 

 

[1] Y. GOLDBERGER, Deuil à rebours. Du deuil à la littérature hongroise en passant par la psychanalyse, Paris, Editions Nouvelles du Champ Lacanien, Hors collection, 2023. Les pages entre [ ] sont celles de cette édition.

[2] J. LACAN, « Conférence de presse au centre culturel de Rome » 29 Octobre 1974, Lettres de l’EFP, 1975, n°16.

 

 

 

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