Une brève sur les "Trois essais sur la sexualité mystique", de Michel Bousseyroux, par Philippe Madet

 

    Alors que les manifestations des mystiques pourraient prouver pour certains l’existence et la toute-puissance de Dieu, Michel Bousseyroux dès son introduction nous conduit sur une autre piste, inattendue quant à la jouissance de la (le) mystique, « puits sans fond […] où l’aspire le signifiant de l’incomplétude de Dieu [1] ». 

    Nous sommes avec cette thèse, issue du séminaire Encore, invités d’emblée à décaler notre lecture. L’auteur nous y accompagne avec précisions, tant il a pu aiguiser ses thèses à l’aune de ce qu’il a appris de ses recherches. En effet, avec ces Trois essais sur la sexualité mystique, Michel Bousseyroux n’en est pas à son coup d’essai. Des mystiques, il s’interroge sur leur mystère depuis les années 60, ce qui donne aujourd’hui un texte savant, érudit mais aussi et surtout qui nous permet d’en savoir un peu plus et de faire le lien avec les élaborations de Lacan.

     

    Si le livre peut se lire par qui veut découvrir, il intéressera aussi celles et ceux déjà férus des tableaux de la sexuation ou des nœuds borroméens.

    Une recommandation si je peux me permettre : la lecture du livre peut s’accompagner d’un article de l’auteur, paru dans le n°2 de L’En-je lacanien, intitulé « Recherches sur la jouissance autre [2] ». Cela ne fera pas complétude mais éclairage complémentaire précieux, essentiel même pour se plonger pleinement dans cette affaire complexe et mystérieuse de la sexualité mystique.

     

    Certains mystiques d’une histoire maintenant un peu lointaine nous sont presque familiers, comme Jean de la Croix, Thérèse d’Avila ou Hadewijch d’Anvers. Les Trois essais de Michel Bousseyroux nous entraînent dans une nouvelle investigation concernant trois femmes, du 20ème siècle cette fois. Pas d’homme donc. Le livre aidera à en situer la raison.

     

    Le premier essai porte sur Marie de la Trinité. En 1950, Lacan a 49 ans. Il n’est donc pas tout jeune mais n’est pas encore le Lacan des séminaires. C’est l’année où Marie de la Trinité pousse la porte de son cabinet. Double intérêt a minima pour nous : toutes les mystiques, loin de là, ne s’adressent pas à un analyste, et surtout quid du travail de Lacan ? Michel Bousseyroux nous apprend que celui-ci a posé des actes qui méritent de s’y attarder, en particulier deux interprétations qui ne sont pas banales et que je vous laisse découvrir.

     

    Le cas de Simone Weil démontre, s’il le fallait, que toutes les mystiques ne se ressemblent pas. Être mystique ne se réduit pas à être perdue et isolée dans une grotte selon un imaginaire qui circule. Certaines, dont Simone Weil, se sont sacrément engagées dans la vie publique et n’ont pas été sans lien. Alors que les formules de la sexuation faisaient point de départ des explorations de l’auteur dans le cas de Marie de la Trinité, ici le lien est fait avec les discours : Simone Weil « a changé de raison, c’est à dire changé de discours, le signe de ce changement de discours venant du dire de l’amour [3] ».

     

    Avec Thérèse Neumann, on voit combien « La jouissance mystique agit sur le corps, bouleverse le corps à un point qu’on imagine pas. [4] » En effet, ce qu’est décrit de ses « stigmates : évènement de chair, produit de l’extase [5] », est inimaginable. C’est cette fois à l’aide des nœuds borroméens qu’il nous est proposé d’en saisir quelque chose.

     

    Au-delà de l’histoire de chacune de ces trois femmes racontée avec agrément, l’auteur nous permet de passer de l’inédie, manifestation fréquente chez les mystiques, à une part d’inédit grâce à ses thèses. Pour qui n’est pas encore très au fait du dernier Lacan, il faut par moment s’accrocher tant la démonstration peut être dense. Mais pour qui est sensible à l’énigme et veut s’essayer à en savoir un peu plus, impossible de passer à côté de ces Trois essais.

     

    Philippe Madet

     Vers l'ouvrage

     

    [1] M. Bousseyroux, Trois essais sur la sexualité mystique, Marie de la Trinité. Simone Weill. Thérèse Neumann, ParisEditions Nouvelles du Champ lacanien, coll. Opuscule$, 2020, p. 9.

    [2] M. Bousseyroux, « Recherches sur la jouissance autre », L'en-je lacanien, vol. n° 2, n° 1, mars 2004, p. 55-81.

    [3] M. Bousseyroux, Trois essais sur la sexualité mystique, Marie de la Trinité. Simone Weill. Thérèse Neumann., op. cit., p. 31.

    [4] M. Bousseyroux, « Recherches sur la jouissance autre », art. cit.

    [5] M. Bousseyroux, Trois essais sur la sexualité mystique, Marie de la Trinité. Simone Weill. Thérèse Neumann., op. cit., p. 37.