Une brève de François Terral, sur Lacan et la honte, de David Bernard

 

    C’est une 2eme édition augmentée que proposent, avec ce livre de David Bernard, les Éditions Nouvelles du Champ Lacanien. Occasion, à ne pas rater, de découvrir ce texte particulièrement intéressant. C’est que le sujet traité, explicite dans le titre de l’ouvrage, permet une plongée au cœur de l’humain et de sa condition de parlant, et un abord des logiques de la structure qu’on ne soupçonne pas. En faisant résonner le signifiant honte avec celui d’ontologie, Lacan en 1970 nous indiquait le lien fondamental pour la psychanalyse qu’il nous revient de construire. Une seule mais dense leçon de son séminaire L’envers de la psychanalyse y pourvoira, pour l’essentiel. Ce qui s’y élabore dépasse largement le rapport du sujet à l’affect de honte dès lors qu’il se saisit dans ses attaches imaginaires, voire fantasmatiques. En s’ouvrant sur la honte de vivre comme dimension propre à penser une hontologie, c’est d’une perspective toute autre dont il s’agit. Lacan n’hésita pas à la sanctionner d’un : « […] c’est ça que découvre la psychanalyse[1]. » ! C’est dire l’étendue des questions abordées. C’est cette densité théorique que David Bernard s’attache à analyser et à éclairer, distillant, à l’occasion d’amples développements, toute la pertinence de la thèse de Lacan, notamment en construisant le rapport à la honte non « comme un affect psychologique, nous dit-il, mais comme un affect éthique, indice d’un rapport du sujet au réel[2] ». Chacun pourra lire, ou relire, ce travail approfondi aux articulations souvent inédites sur la psychanalyse et les apports lacaniens, permettant au lecteur d’en résoudre bien des complexités, éclairant nombre de questions essentielles de notre modernité.

     

    A ce sujet, soulignons l’ajout d’une importante partie intitulée « La honte et le numérique ». Sans avoir à fonder ce qui l’était déjà pleinement, elle fait faire à l’élaboration produite un pas de plus, venant y articuler notamment la prise en compte des possibles usages quotidiens d’Internet, sources sinon de jouissance, plus certainement de ratages – soif de manque-à-jouir disait Lacan. « Au-delà de la signification qu’il prend à présent sur nos écrans, le numérique doit être entendu dans l’enseignement de Lacan comme l’opérateur d’un changement de discours[3]. » C’est le passage au discours scientifico-capitaliste qui est ici en cause, et l’auteur montre qu’il rend possible comme une abolition de la honte dans sa dimension hontologique, soit finalement du rapport de responsabilité à soi-même, non comme individu infatué, sûr et maître de son destin, mais comme parlant qui sait devoir se confronter au réel et à la jouissance - ne serait-ce que parce que justement, sa honte de vivre et la lâcheté morale qui l’accompagne finissent par faire symptôme pour lui. De cet effacement de la honte, au fil de ces pages, qui sont aussi d’une grande précision et portée clinique, David Bernard nous permet de peser les lourdes conséquences éthiques et pratiques. Que son propos s’étaye aussi des auteurs de la philosophie, de la littérature, de l’histoire et de l’art, dit encore l’intérêt et le plaisir qu’on trouvera à le lire.  

     

    François Terral

    Vers l'ouvrage

     

    [1] Lacan J., Le Séminaire Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 211.

    [2] Bernard D., Lacan et la honte – De la honte à l’hontologie, Paris, ENCL, 2019, p. 236.

    [3] Ibid., p. 204.