Une brève d'Adèle Jacquet-Lagrèze, à propos de Ça parle, de Dominique Marin
Une brève d’Adèle Jacquet-Lagrèze, à propos de Ça parle de Dominique Marin [1]
« Je recule d’un pas vers l’intérieur, et ferme la fenêtre.
On apporte la lampe, on me souhaite une bonne nuit,
Et ma voix réjouie souhaite une bonne nuit. […]. [2] ».
Dominique Marin nous ouvre une fenêtre sur le discours intérieur, objet du parlêtre tantôt entendu paisiblement selon une articulation à venir ou à rêver selon sa fantaisie, tantôt de manière saisissante voire tonitruante quand ça fuse, bien que toujours dans un vacuum sonore partagé, ou encore – selon V. Egger qui le premier soutint une thèse sur le sujet – de manière « indiscernable, évanouie [3] » quand il s’agit de cette « parole intérieure faible » [74], qui échappe à la possibilité de la mettre en mots.
Il scrute pour cela l’horizon de notre époque avec une lecture d’essais en neurosciences (Lœwenbruck, Smadja) qui sous le nom d’endophasie, ne veulent pas entendre grand-chose de « ce monde intérieur qui fonctionne selon des lois propres » [76], préférant l’extérioriser par tous les moyens, quand il s’agit dans son fondement qu’il reste « non proféré » [148].
Ce parcours contemporain est finement brodé avec une réflexion sur des écrits de l’intime, notamment celui de femmes (Pudlowski, Springora) qui font entendre cette voix « qui se tait » [97], ou plutôt, sa transcription, voire son enregistrement pour que cesse « ce silence qui efface l’existence de ce qui est nié » [85] – thèse originale de D. Marin –, selon laquelle ce discours intérieur serait l’envers du dire qui s’infère des dits.
La voix est appréhendée en contrepoint de Lacan dans une lecture éclairante du linguiste G. Bergounioux qui perçoit à sa façon que l’on est toujours parlé avant de parler, allant jusqu’à renverser la définition classique de son champ par la formule : « le locuteur, c’est un discours reçu [4] » [96].
D. Marin suit enfin la portée de cet objet dans la psychose selon le trajet brisé de la pulsion invocante qui fait retour dans le réel et dans la névrose, où le sujet normal est « en position de ne pas prendre au sérieux la plus grande part de son discours intérieur [5]» [184].
On aurait envie que s’ouvre maintenant grand la porte de ce jardin trop peu exploré, « plus loin que l’inconscient[6] » [135], afin de cerner plus avant ce que l’on pourrait nommer « écoute intérieure », qui fait résonner à l’insu du sujet lalangue qui aura été la sienne et qu’il nous éclaire le chemin de cette « insondable décision de l’être[7] » [208] qui logerait dans le fait que quand « ça parle », il y aurait la place pour une volonté de « se dire » [210].
« Mon âme est un orchestre caché ; je ne sais de quels instruments il joue et résonne en moi, cordes et harpes, timbales et tambours. Je ne me connais que comme symphonie [8]. »
Adèle Jacquet-Lagrèze
[1] D. Marin, Ça parle. Étude sur le discours intérieur, Paris, Éditions Nouvelles du Champ Lacanien, Collection études, 2024.
[2] F. Pessoa, L’Intranquillité, traduit du portugais par Patrick Quillier, Éditions Christian Bourgois, 2011, p. 169
[3] V. Egger, La parole intérieure, essai de psychologie descriptive, Paris, Germer Baillière, 1881, p. 309, cité p. 74.
[4] G. Bergounioux, Le moyen de parler, Lagrasse, Verdier, 2004, p. 92, cité p. 96.
[5] J. Lacan, Le Séminaire, livre III, Les psychoses, [1955-1956], Paris, Seuil, 1981, p. 140, cité p. 184.
[6] J. Lacan, Le Séminaire, livre XXIV, L'Insu que sait de l'une-bévue s'aile à mourre, inédit, leçon du 16 novembre 1976, p. 10, cité p. 135.
[7] J. Lacan, « Propos sur la causalité psychique », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 177, cité p. 208.
[8] F. Pessoa, L’Intranquillité, op. cit., p. 297-298.