Brève sur Samuel Beckett, l'art du noeud-dire de Bruno Geneste, par Adèle Jacquet-Lagrèze

 

Brève : A propos de Samuel Beckett, l’art du nœud-dire, de Bruno Geneste

 

« (…) Le temps passe. D’abord muet. J’allume (…) C’est bon, j’éteins (…) Je recommence. (…) Au présent comme si nous y étions. (…) Le temps passe. Cette fois parlant. J'allume. (…)

Geneste noue dans cet ouvrage des articles sur l’écriture de Beckett qui résonne avec celle de Lacan, y déroulant par touche la bobine du Fort-Da de l’efficace de sa clinique.

Cela aurait pu être une thèse au vu de la rigueur de ses références, si son style n’avait préféré rendre en acte ce qui insiste entre les lignes et qui échappe à la démonstration, sollicitant le lecteur à y mettre du sien.

– II n'a rien dit ? – Rien – Tu l'as bien travaillé ? – Oui. – Et il n'a rien dit ? – Rien. (…) – Tu mens. Il te l'a dit. (…)  On va travailler jusqu'à ce que tu avoues. (…) – Que doit-il avouer ? – Qu'il le lui a dit (…)

Comment mieux faire sentir cet art de Beckett à se saisir de lalangue en la vidant de la jouie-sens, pour faire « parade à la voix impérative [1] », que de laisser les lettrés se débrouiller dans leur lecture ? Si l’analyste lacanien vise l’épure mathématique dans la clinique, il doit accepter avec Beckett ce « mal-dire », qui est plutôt un bien-dire, assumant le réel comme impossible, sans pour autant renoncer à « laisser une tache sur le silence [2] ».

On pourra ainsi, selon l’humeur, se laisser bercer par les fragments poétiques cités et atteindre au non-sens beckettien ou préférer penser ce qui émerge d’une structure précise de son écriture à l’aune des élaborations de Lacan sur ce qui permet au parlêtre de faire avec la forclusion généralisée du sexe et de la mort.

Au regard d’autres tourmentés que furent Joyce, Cioran, Pizarnik ou Dante, B. Geneste déplie en quoi l’art du nœud-dire de Beckett pare à ce qui pourrait s’apparenter à la mélancolie. Dans ses tours et détours, il démontre (presque malgré lui), que cet humus de l’artiste est bien différent de la mélancolie psychiatrique, ne renonçant pas à un dire sur cet écart entre les mots et l’a-Chose. S’il fait exister cette vacuole du Dépeupleur [3], il n’épouse pas le néant, puisqu’il ne cesse d’y faire résonner ce « corps de sons fondamentaux [4] » pour « renverser le pire [5] ». La question d’une fin de l’analyse par une écriture sans fin se pose pour celui qui comme Beckett « ne peut renier le douloureux reste de terre [6] ».

– C'est bon. Je suis seul. Au présent comme si j'y étais. C'est l'hiver. Sans voyage. Le temps passe. C'est tout. Comprenne qui pourra. J'éteins. [7] »

 

 

Adèle JACQUET-LAGRÈZE

 

[1] B. Geneste, Samuel Beckett, l’art du nœud-dire, ENCL, Paris, 2022, p. 71.

[2] D. Bair, Samuel Beckett, Paris, Fayard, 1979, p. 420.

[3] S. Beckett, Le Dépeupleur, Paris, Les Éditions de Minuit, 1970.

[4] Dans L. Janvier, Samuel Beckett par lui-même, Paris, Les Éditions de Minuit, 1968, p 158.

[5] B. Geneste, Samuel Beckett, l’art du nœud-dire, op. cit., p. 167.

[6] Ibid., p. 190.

[7] S. Beckett, « Quoi, où », Catastrophe et autres dramaticules, Paris, Les Éditions de Minuit, 1986.

 

   

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