Brève sur Psychanalyser le pas-comme-tout-le-monde de Michel Bousseyroux, par Marie-José Latour

« Cliniquer est le devoir du psychanalyste : il lui faut faire

le lit de la chose psychanalytique. Mais il lui faut aussi

défaire le lit froissé de ses signifiants jouis pour que

 vienne au dire ce qui s’y est couché par écrit. [1]»

 

 

Quel beau titre que celui du dernier ouvrage de Michel Bousseyroux !

Ce pas-comme-tout-le monde, que tout le monde est à même de lire et de saisir, ce syntagme si simple, fait le fil d’un ouvrage qui donne tout son empan à l’enjeu de ce qu’est une psychanalyse et à l’évaluation éthique du diagnostic que Lacan a promu dans son « Apport de la psychanalyse à la sémiologie psychiatrique », et qui lui a permis de ne jamais renoncer à dialoguer avec le fou et en apprendre quelque chose.  Les pages que Michel Bousseyroux consacre à la folie, à la folie psychotique, à la folie commune, à la folie partielle, et à la critique de la thèse de la psychose ordinaire[2], sont des grands moments de clinique psychanalytique qui ne manqueront pas d’apprendre quelque chose à ceux qui, encore aujourd’hui, ne reculent ni devant la psychose, ni devant ce métier impossible qu’est de psychanalyser.

« Pas-comme-tout-le-monde » ce n’est pas tout à fait la même chose que « pas-comme-les-autres ». La différence peut sembler infime, mais si on écoute, comme l’auteur nous y invite, « l’envers muet de la parole[3] », on peut y entendre comment la singularité qui ferait fond sur le moi qui s’excepterait du commun, n’est pas celle qui intéresse la psychanalyse. En effet est singulier, non pas ce qui diffère, mais ce qui est seul, hors de tout rapport. Ainsi la singularité qui fait le cœur de ce livre est celle du symptôme, soit « la part pas folle de chacun, sa part de pas-tout [4]», qui est bien autre chose que le « rester soi-même », auquel on nous invite à l’envi.

Nous savons que Lacan a loué la subtilité de la langue française qui permet que le pas que l’on fait en marchant soit aussi ce qui accompagne la négation. Ainsi ce pas est aussi bien ce que l’analysant partage avec tout le monde, et aussi ce qui lui donne l’allant nécessaire pour supporter, sans tristesse, ce qui ne tombe pas dans les cases que tout le monde partage, « qui ne tombe pas d’accord avec le tout de tous les gens[5] ».

Ce livre m’a évoqué quelque apparentement avec le recueil du poète Jacques Roubaud, Les animaux de tout le monde[6]. L’énumération produite par Roubaud repose sur l’impossibilité à en faire une ronde. Dans l’un des sonnets, « Le lombric », Roubaud compare le poète au ver de terre qui laboure les mots, ce grand champ où les trumains récoltent les denrées langagières, et la terre s’épuiserait à cet effort incessant, si n’était « le poëte lombric et l’air qu’il lui apporte / le monde étoufferait sous les paroles mortes. »  Roubaud précise écrire ainsi « poëte », pour cette réson qu’avec le tréma, ne se comptera dans le dire du poème qu’une syllabe et non pas deux.           

C’est en effet une bouffée d’air vivifiante dans la clinique psychanalytique que Michel Bousseyroux apporte dans cet essai. Qu’il évoque le « pouet-pouet » de Bourvil, « Les Fourmis rouges » de Jonaz ou d’autres accords impossibles avec Bashung, j’oserai dire qu’il le fait comme pas un.   

 

 

Marie-José Latour 

 

[1] M. BOUSSEYROUX, Psychanalyser le pas-comme-tout-le-monde. Essai de clinique psychanalytique, Paris, Editions Nouvelles du Champ Lacanien, 2022, p 24

[2] Voir notamment les chapitres I, IV, VI, VII, IX  et X

[3] Ibidem p 135

[4] Ibidem p 124

[5] Ibidem p 125

[6] J. ROUBAUD, Les animaux de tout le monde, Paris, Seghers, 1990

 

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