Brève sur Beckett avec Lacan, de Dominique Marin, par Anne Meunier

 

Brève à propos du livre : Beckett avec Lacan
de Dominique Marin, par Anne Meunier

 

L’insaisissable présent ne peut s’attraper par la parole, parole du discours intérieur dont témoigne l’écriture de Beckett. Lacan, à la même époque, n’a cessé, par l’impossible à dire le présent, de rendre raison de l’inconscient, de faire valoir les effets de la parole, cancer dont l’être est affecté. Aussi Dominique Marin nous invite-t-il à suivre, non pas ses fantasmes de psychanalyste sur Beckett, mais une étude approfondie de ce que l’œuvre de Beckett enseigne. Il met en évidence, avec Lacan, la singularité de ce savoir-faire avec le malheur d’être ravagé par le Verbe et le foisonnement des textes de Samuel Beckett qui se disait ravagé par ces paroles qu’on lui a collées.
Au-delà des éléments biographiques, au-delà de ce qu’il a pu évoquer de son analyse avec Bion et sans tomber dans le travers mimétique de Didier Anzieu, il eut été tentant de mettre en parallèle et même de superposer aux expressions de Beckett celles de Lacan. Puisque l’écrivain comme le psychanalyste rendent compte du vide, de la répétition, du souffle, du reste, du ratage, de la voix, du silence, de l’impossibilité de savoir, du moins que rien, de la soustraction du sens jusqu’à l’épuisement, de la jouissance vocalique, de ce qui échappe à la traque du verbe, etc.
En effet comment ne pas entendre la malédiction d’être né dans le « Ma naissance fut ma perte » de Beckett. Comment ne pas rapprocher le Cap au pire avec le ...Ou pire de Lacan, ou la question de la fin de l’analyse avec celle du « comment gagner la sortie » et celle de la poubellification, avec Fin de partie.
Dominique Marin propose un dialogue fécond à partir d’une pratique de la lettre qui converge avec l’usage de l’inconscient. Le mérite de ce livre dont le titre aurait pu être en forçant le propos, « Lacan pas sans Beckett », est de faire résonner l’enseignement de Lacan, lecteur et spectateur, avec le travail et la poésie du théâtre de celui auquel l’auteur donne la place de « partenaire muet de Lacan ».
Les références courtes aux textes de ces deux partenaires, « frères de lettres », fourmillent et donnent envie de les lire et relire. Dominique Marin jongle avec autant de facilité que de rigueur dans les développements clairs des concepts analytiques, en écho à cet Innommable si bien dit par le prix Nobel de littérature. Il nous incite ainsi à ouvrir l’œil et à tendre l’oreille du côté de toutes les disciplines qui, à l’instar de l’analyse, éclairent d’une manière impitoyable la nécessité de nous défaire de notre histoire et de nos avoirs.
S’il n’y a « peut être que des fausses routes », ainsi que l’évoquait Beckett avec Charles Juliet, Dominique Marin a pourtant trouvé « la mauvaise route » qui convenait pour dire ce que Beckett et Lacan lui ont soufflé.
 

Anne Meunier

 

 

 

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